En cette fin d'année, chers lecteurs, nous avons décidé de bousculer la routine éditoriale de votre journal préféré. En effet, au lieu d'ennuyeux papiers sur les grands vins de Bordeaux et les champagnes pétillants nous avons envoyé un de nos meilleurs reporters sur un terrain peut-être inconnu de vous. Jugez plutôt...
Claudia - Un reportage de News Express
24 décembre. Minuit. Je tape le code à l'entrée du 150B. Aussitôt le hall s'éclaire et la porte s'ouvre sans un bruit. Dans l'ascenseur; le téléviseur diffuse une messe en direct du Stade De France. Vingt secondes plus tard une voix m'annonce que je suis arrivé. Long couloir avec moquette ultra épaisse. Une seule et unique porte au bout du couloir qui doit bien faire dans les cinquante mètres. Pas la peine de sonner, la porte est déjà ouverte. Lumière à bloc dans l'appart'. Des mecs de L' I. M. L sont en train de déplier la housse pour le corps. Trop de monde, trop de pièces dans cet appartement pour en restituer l'ambiance exacte. Sur lebalcon des flics en uniformes se passent un méga joint. C'est Noël. On décompresse, on prend l'air. Je trouve l'inspecteur Ressler à la cuisine assis devant une assiette en carton débordante de chips et de ketchup. Y a du vin dans le placard de droite dit-il. Sors-nous la bouteille qu'on discute un peu tous les deux. J'apporte deux verres et la bouteille et je m'assoie en face de Ressler. Ressler, l'alsacien, le dur à cuir, jamais froid, jamais faim, le mec qui carbure au café toute la journée. Ressler la légende vivante. Pas un putain de poster pour ado masturbateur. La cuisine dit Ressler, faut toujours squatter la cuisine. Tout est là. Les odeurs, les habitudes, le train-train, la vie quoi ! La cuisine, n'oublie jamais ça ! Il enfile son verre comme on se torche et allume une Camel en me regardant droit dans les yeux. Alors ? T'as eu quoi pour Noël petit con ? Puis il se marre en toussant. Tu veux savoir je luis dis ? Tu veux vraiment savoir ? Ressler nous ressert en vin. Ben oui je veux savoir abruti ! J'allume une cigarette à mon tour. Une poupée gonflable je dis. Voilà mon cadeau de Noël. Elle s'appelle Claudia. Ressler tire à fond sur sa Camel sans me quitter des yeux. T'es un putain de veinard toi ! Allez on trinque mec ! Nous finissons par déboucher une seconde bouteille de rouge. Ressler s'en tape de bosser un 24 décembre. Il se marre. Sa vie c'est les cadavres et les cuisines. Jamais se laisser déborder par la tristesse dit Ressler. On boit un coup et on analyse ensuite. C'est ma façon de bosser. La criminelle c'est pas du gâteau emballé d'office. Jamais se faire déborder. La patience dit Ressler, la patience c'est chez nous qu'on l'apprend. De la mort, tu apprendras, non à vivre, mais à attendre. Dans les cuisines t'as toujours un truc à bouffer ou à boire. Tu piges ? Y à une autre bouteille sous l'évier me dit-il, sort moi ce trésor chéri. Tu veux ? Nous éclatons de rire tous les deux. Je suis très heureux d'être en compagnie de Ressler ce soir. Et j'espère faire profiter nos lecteurs de notre rencontre exceptionnelle avec l'un des plus grands flic du pays. Tu sais me dit Ressler; je reviens de Los Angeles, j'y ai passé une semaine en stage tout frais payé. Formation continue... hein ? Ben tu vois à L.A., le labo du crime, la Mecque du meurtre, tu vois ce que je veux dire... hé ben... les flics de cette ville ne sont pas du tout stressé comme chez-nous... et tu sais pourquoi ? me dit Ressler. Tu sais pourquoi ? C'est tout simple... Ces flics-là n'attendent rien... Ils ont pigés La Patience... Un jour ou l'autre on va coincer l'enculé qui a butté 30 filles... Dix ans, Vingt ans, c'est pas notre problème, le fumier finira par tomber dans notre panier... Voilà ce que j'appelle des PRO. Pas des types qui gesticulent dans tous les sens. Tu vois le topo ? Ils ont la patience dit Ressler. La patience bordel ! Une heure plus tard je rentre chez moi, fatigué mais content de ma soirée avec Ressler. Claudia s'est endormie avec la lumière allumée dans la chambre. Je me glisse contre elle sous les draps tièdes et je me laisse aller dans l'infini du latex.
Philippe Le Meur pour News Express.
