
Rigolons un peu avec le dernier roman de MARIE DARRIEUSECQ
Ceci est un pastiche à la manière de... Pas difficile de faire mieux que l'original, mais faut vraiment être une sociopathe pour faire ça pendant 250 pages !
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MON BEBE EST MORT
"Je me souviens de ma première pinte. Une décennie maintenant. On s’en souvient et on ne s’en souvient pas. C’est très bête comme dirait l’autre. J’étais jeune alors, plus jeune qu’aujourd’hui, mais à l’époque je ne savais pas que j’étais jeune. C’est quand on est vieille qu’on sait qu’on a été jeune. A vrai dire je ne sais même pas si j’aimais la bière ? Aujourd’hui j’en bois, ce n’est pas pareil, mais à l’époque c’était la première fois. C’est comme se suicider une première fois, c’est à la seconde tentative qu’on sait qu’on s’est raté la première fois. Les choses changent. Pourtant ce n’est pas comme ça qu’il faut dire les choses.
C’est comme les noms des bars, troquets, restaurants et bouiboui dans lesquels je suis allé depuis ma première pinte. On ne se souvient pas de tout. C’est la raison pour laquelle je ne veux pas d’enfants. Pourrais-je me souvenir de leurs noms ? Quand j’étais petite j’écrasais des fourmis avec mon pouce, mais je ne me souviens pas de leurs prénoms ? A quoi bon serrer des enfants dans ses mains comme on écrase des insectes. C’est pour ça que j’écris. On se souvient de sa première pinte, de sa première fourmi, alors les mots viennent et disparaissent. C’est comme ça. Il y a une école en bas de chez moi et lors des récréations on dirait des fourmis mais mon pouce est trop court. Quand j’étais petite j’avais un gros pouce. Mon psychanalyste n’aime pas quand je parle de mon pouce, je le vois bien. Il me demande toujours si j’y prends du plaisir ? Le pied ? Je ne pense jamais à mes pieds. On dit que ça sert à danser. J’ai des corps aux pieds. Je les racles avec mes ongles.
L’écriture c’est comme des petits morceaux de peaux qui pèlent et qu’on arrache. C’est du travail, il faut faire des phrases avec, coller les raclures avec de la bave ou des fourmis. J’écris avec mon pouce, jamais avec mes pieds. Je déteste Bruce Chatwin et tous ces mâles aventureux qui urinent aux quatre coins du monde. Mon cahier est un monticule de petites peaux mortes entrelacées de cheveux et poils pubiens. C’est l’écriture femme. Mon pouce trace des lignes. Mon pouce est entre mes cuisses. Je suis une femme encre. Poulpe. Je décharge ma teinture de vie sur le papier. J’écris pour ne rien dire. Le plaisir, c’est insensée, il n’y pas de phrases ni d’étiquette. Entre mon pouce et mon cahier, il y a la mort. Gorgonne. Des femmes, des milliers de femmes ont des enfants au congélateur. Les droits de l’homme n’ont pas été faits pour les femmes. J’ai des droits arctiques, des pouvoirs gelés dans la mort. L’enfant roi, le fils de glace n’est pas celui de l’homme. La glace et le feu. Une fourmi, un poulet, un nouveau né. Un poulet au vinaigre. Des mouches cantharides. Il n’y a pas d’infanticide chez les femmes, il n’y a que des droits non reconnu.
Le monde à l’envers. Je redresse la tête. Je n’aime pas les enfants ils font mal au ventre. Je suis engendré par moi-même. Seule avec mon pouce. C’est possible. J’ai dessiné ses petits yeux et sa bouche avec mon Bic. Il est mignon et avec sa petite tête chauve j’écrase une fourmi qui passe entre les voyelles. Il ne S’est rien passé. Mon bébé est mort et les fourmis sont immortelles. J’ai faim. Ils n’ont pas beaucoup de choix chez Picard. Mon congélateur est vide. Presque vide... "
Mary Darieusec