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6.7.06
On l’ignore totalement : au XVIe siècle, les esclaves blancs razziés par les musulmans furent plus nombreux que les Africains déportés aux Amériques. L’historien américain Robert C. Davis restitue les pénibles conditions de vie de ces captifs italiens ou espagnols*.
On a pris aujourd’hui la mesure de la traite des esclaves noirs organisée par les négriers musulmans à travers le Sahara, ainsi qu’en direction du Moyen-Orient et des régions de l’océan Indien (1). On sait aussi que l’affrontement entre l’islam et la chrétienté a alimenté en maures et en chrétiens les marchés d’esclaves des deux côtés de la Méditerranée médiévale.
Mais si des travaux, maintenant assez nombreux, avaient permis d’éclairer la question de l’esclavage dans les pays chrétiens, et notamment dans la péninsule Ibérique, on ne savait pas grand-chose de la condition réelle des esclaves chrétiens dans les États “ barbaresques ” d’Afrique du Nord. Une histoire souvent obscurcie par la légende.
Professeur d’histoire sociale italienne à l’université d’État de l’Ohio, Robert C. Davis nous en livre désormais, dans un ouvrage remarquable, une approche véritablement scientifique. Le fruit de dix ans de travail, principalement en Italie.
Car l’Italie, “ œil de la chrétienté ”, fut sans aucun doute, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, la région la plus touchée par les raids des Barbaresques, ou Africains du Nord. Des villages y furent sinistrés, des activités (comme la pêche) entravées, des esprits et des sociétés durablement secoués. La Méditerranée devenant “ la mer de la peur ”, nombre d’Italiens auraient alors délaissé les littoraux pour s’installer plus loin, vers l’intérieur. A propos des effets à long terme de ces razzias, l’auteur va jusqu’à parler de “ désastre social et psychologique ” – une question qui mériterait sans doute des études plus étoffées.
Un million d’esclaves entre 1530 et 1780
Les causes de l’esclavage des chrétiens sont tour à tour mentionnées par Robert C. Davis : la Reconquista, le désir, de la part des musulmans, de prendre une revanche sur les croisades, l’appât du gain. Mais ce qui l’intéresse, c’est surtout la question des conditions de vie de ces esclaves. Une question qui fut l’un des thèmes porteurs de l’historiographie consacrée à l’esclavage américain, et que Robert C. Davis tente d’appliquer, ici, à l’esclavage musulman.
Difficile d’estimer le nombre des esclaves blancs dans les pays barbaresques. On ne dispose que de données partielles, d’époques différentes, qu’il faut recouper avec soin. Parfois même se contenter de projections.
Contre Fernand Braudel, qui en avait minimisé l’ampleur (2), tout ce travail conduit l’auteur à une nouvelle pesée du phénomène. Estimant à environ 15 % le taux de mortalité des esclaves déjà plus ou moins acclimatés à leur nouvelle condition, il évalue entre un million et 1250000 le nombre d’esclaves blancs détenus, entre 1530 et 1780, sur un territoire s’étendant de l’Algérie à la Libye actuelles. Au XVIe siècle, il y avait donc annuellement plus d’esclaves blancs razziés que d’Africains déportés aux Amériques.
90 % au moins de ces esclaves blancs étaient des hommes. Et comme on ne leur laissa guère l’occasion, de fait, d’avoir une descendance, la seule chose d’eux qui aurait pu leur survivre est le produit de leur travail, du moins pour ceux qui étaient affectés à de grandes tâches étatiques : construction de digues, de fortifications, de ports, de rues ou encore de palais. Mais une bonne partie de ces constructions a disparu. Cette institution, qui dura pourtant près de trois siècles, n’a donc laissé pratiquement aucune trace perceptible. “ L’autre esclavage ”, écrit Robert C. Davis, est ainsi devenu “ l’invisible esclavage ”.
Au XVIe siècle, de vastes opérations militaires étaient menées par les États barbaresques, jusqu’à l’intérieur des terres ennemies pour se procurer des esclaves. Mais, à partir des premières décennies du XVIIe siècle, les captifs blancs furent surtout le produit d’opérations corsaires privées. La valeur des esclaves pouvait représenter entre 20 et 100 % de celle des autres prises, navire et marchandises inclus. Aussi les Barbaresques s’occupaient-ils directement, non seulement de capturer les esclaves, mais aussi de les transporter et de les vendre.
L’appât du gain était renforcé par l’arrière-plan conflictuel entre chrétienté et islam. Sinon, comment comprendre l’horreur toute particulière que les cloches des églises des villages qu’ils razziaient inspiraient aux corsaires – dont certains étaient des chrétiens renégats ? Des cloches qu’ils déposaient souvent, et parfois emportaient avec eux – le bronze n’étant pas sans valeur. La violence exercée lors de ces raids avait également une tonalité en partie symbolique qui permettait d’entretenir la crainte des populations littorales.
Même chose pour les humiliations infligées dès leur capture aux nouveaux esclaves : obligation de se dénuder, administration de coups à l’aide de cordes à nœuds, puis, à leur arrivée à bon port, défilé des nouveaux asservis destiné à officialiser le triomphe de leurs nouveaux maîtres. Ainsi désocialisés, les esclaves étaient plus facilement soumis.
D’abord un peu mieux traités, afin qu’ils s’acclimatent correctement, ils étaient ensuite orientés vers des activités variées, allant du travail dans les orangeraies de Tunis au service domestique. Néanmoins, la plupart se voyaient confier des tâches particulièrement dures : galères, extraction et convoyage de pierres, construction, etc. Et aucun “ code blanc ” (à l’imitation du fameux code noir appliqué dans les Antilles françaises), même symbolique, ne venait limiter le pouvoir du maître sur son esclave “ infidèle ”.
Certains captifs jouissaient cependant d’un certain degré de liberté On leur demandait seulement de ramener, chaque matin, une certaine somme d’argent à leur maître ; système rappelant celui, dans les Antilles, des “ nègres à talents ” loués à des entrepreneurs. Le vol pouvait alors être à la fois acte de résistance et moyen de survivre au sein du système esclavagiste.
Cervantès captif des Barbaresques
Souvent, les esclaves chrétiens travaillaient comme domestiques au service de familles musulmanes. Mais ce type d’esclavage déclina plus rapidement que celui organisé au bénéfice des États barbaresques. Au point que, à la fin du XVIIIe siècle, la moitié des esclaves chrétiens d’Alger vivaient dans des bagnes publics. Les conditions d’existence y étaient extrêmement dures : il y régnait un climat de violence, notamment sexuelle, les geôliers étant accusés d’y favoriser, contre paiement, des pratiques sodomites.
Les captifs qui pouvaient faire l’objet d’une forte rançon échappaient vite à ces conditions d’existence. D’autres pouvaient être rachetés au bout de quelques années. Ce qui fut le cas de Miguel de Cervantès (1547-1616), l’auteur de Don Quichotte, esclave des Barbaresques entre 1571 et 1580. La chose devint théoriquement plus facile avec le temps, car des institutions religieuses spécialisées dans le rachat des captifs furent organisées de l’autre côté de la Méditerranée ; en Italie, des sommes importantes furent mobilisées pour le paiement des esclaves chrétiens.
La durée de captivité s’étendait ainsi, dans nombre de cas, de cinq à douze ans au maximum. Le taux de mortalité, cependant, demeurait élevé. Beaucoup d’esclaves n’avaient donc que peu d’espoir de retourner, un jour, chez eux.
O. P.-G.
Notes
* Robert C. Davis, Christian Slaves, Muslim Masters. White Slavery In The Mediterranean, The Barbary Coast And Italy, 1500-1800, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2003.
1. Cf. “ La vérité sur l’esclavage ”, spécial, L’Histoire n° 280.
2. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 9e éd., 1990