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26.12.06



----- Original Message -----
From: Sebastien Thiery
To: Sebastien Thiery
Sent: Tuesday, December 26, 2006 2:53 AM
Subject: Les Enfants de Don Quichotte : poursuivre l'action

De la nécessaire mise en scène de l’obscène

L'oeuvre des Enfants de Don Quichotte autour de la situation dramatique des SDF en France doit poursuivre le chemin de la déraison spectaculaire pour avoir raison de ses détracteurs.

(Texte de Sébastien Thierry, Docteur en sciences politiques, paru dans Libération, le lundi 25 décembre 2006.)

Des dizaines de tentes rouges en enfilade sur les quais du canal Saint-Martin. Des « bien-logés » viennent passer la nuit ici même, de leur plein gré, aux côtés de « mal-logés » qui connaissent de force la douleur de ces nuits assassines. Absurdité du principe d’hospitalité appliqué à l’envers alors qu’il serait bien plus approprié (« courageux » tempêtent certains) d’offrir à ces femmes et ces hommes en détresse un asile dans son bourgeois et tempéré domicile ? « Poudre aux yeux » (paroles d’État) agitée par de doux rêveurs n’offrant qu’un vain et « dangereux » (idem) spectacle alors que d’aucuns, sérieusement, tentent de proposer des solutions concrètes ? Quichotte est ce héros moderne qui ne sait pas ce qu’il fait mais qui, par la lumière de ses actes fous, nous renvoie en pleine figure l’image de notre déraison collective, nous conduisant sur le chemin de la prise de conscience insupportable, antichambre des nécessaires solutions politiques à apporter aux maux qui nous rongent secrètement.

Beaucoup ricanent : l’impudeur et l’imprudence de ces « bien-logés » témoignent d’une compassion bien soudaine, d’un sursaut de bonne conscience avant retour au bercail pour gabegies familiales de fin d’année. Ces considérations pâtissent quoi qu’il en soit d’une focale bien mal ajustée. Certes, je n’ai moi-même pas rejoint les rives du canal pour me faire, l’espace de quelques nuits, « SDF volontaire » (ce qui est et reste un oxymore), et ce pour une raison principale. Je ne crois pas pouvoir, moi « bien-logé », traverser dans son incommensurable violence la douleur de ces femmes et de ces hommes qui ressentent la morsure du froid comme les prémices d’une mort aux aguets. Ces femmes et ces hommes ne « campent » pas, ils subissent une condition vécue comme définitive et sans issue ; ils ont, chevillée au corps, l’intime conviction qu’un jour ils ne s’en relèveront pas. Cela, je ne peux le concevoir, et quelques nuits passées auprès d’eux n’y feront rien ; et pourtant cela il me faut le comprendre. Alors, certains des Enfants de Don Quichotte se trompent sans doute, voulant payer de leur personne jusqu’à tenter de partager la souffrance et l’humiliation de ces SDF pour mieux en rendre compte. Pourtant, leur geste s’avère exemplaire et absolument nécessaire, précisément d’abord en raison de la folie qu’il trahit, de l’absurde qu’il expose.

Je n’accorde aucun crédit aux moralistes qui pourfendent la dimension spectaculaire de l’entreprise car, précisément, c’est là je crois la clé de la portée et du devenir de l’action des Enfants de Don Quichotte. Ces activistes forcenés, dont le plus médiatisé est un comédien, ont surtout produit un spectacle et ce par le biais de l’intervention consistant en la multiplication de ces tentes rouges, par une stratégie de surexposition fort bien conduite. Ce spectacle s’avère d’une importance cruciale en ceci que, au delà du signe de la présence de « campeurs », les tentes rouges sont en passe de devenir un seul objet collectif, inimaginable instrument de signalétique urbaine, monument effroyable exposant non pas la solidarité de certains, éventuellement passagère, mais la douleur de tous demeurée jusque là dans les marges de nos espaces urbains, dans les confins de notre conscience aveugle. L’enjeu premier doit demeurer de nature spectaculaire afin que s’élabore sous nos yeux un monstre (cette monstration de la douleur qu’expose la multitude de tentes rouges) jusqu'à ce que personne ne puisse y voir autre chose que l’humiliation de tous et la honte de chacun, le drame de la condition inhumaine des SDF dont nous sommes responsables de fait, si tant est que nous demeurions en République. Je ne saurais donc que suggérer aux Enfants de Don Quichotte de poursuivre l’opération en en décuplant sa monstruosité, en invitant la population non plus à dormir mais à ajouter à foison des tentes rouges aux tentes rouges, jusqu’au nombre tristement symbolique de 100 000, nombre présumé de sans-abri en France. Je ne saurais que les encourager à défendre cette proposition comme un acte de folie aux vertus démonstratives cinglantes en ceci que, si rien ne se passe, très vite ces milliers de tentes se verront habitées par des SDF non volontaires, produits de la politique sociale et économique insupportable qui a cours de nos jours. Je ne saurais que leur proposer de travailler à garantir l’inviolabilité de cet objet, en inventant des mécanismes politiques – rituels de veille auprès de ce monstre afin de tenter de contrecarrer les éventuelles opérations de nettoyage qui tenteraient la puissance publique – voire juridiques – de protection de cette ¦uvre d’art collective participative, installation monumentale in situ, monument vivant de la honte. Je ne saurais que leur conseiller de ne faire disparaître cette « bonne ¦uvre » que le jour où de véritables dispositifs législatifs et réglementaires auront été adoptés pour rendre à ces femmes et ces hommes la dignité que la République leur doit.

L’absurdité réside ici, dans un objet inhospitalier qui parlera d’une société qui marche à l’envers et qu’il est urgent de remettre sur ses pieds afin, dans le même mouvement, de remettre l’hospitalité à l’endroit. Il n’est pas scandaleux de ne pas instituer le gîte ouvert aux SDF comme geste politique plus juste que l’action délirante des Enfants de Don Quichotte, et ce pour deux raisons. D’une part, comme le rappellent obstinément les membres de l’association, la Constitution de la Ve République, à l’endroit de son préambule renvoyant au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dispose entre autres que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Autrement dit, c’est là un droit que la Nation, par l’intermédiaire de ses représentants, doit garantir à chacun, à l’égal de la protection de la santé par exemple. D’autre part, la justesse du geste politique des Enfants de Don Quichotte réside précisément dans la manière dont ils projettent sur la scène publique l’obscène réalité, en particulier au moyen de leurs corps exposés réfléchissant ce que nous ne voulons pas voir, ce qu’il ne faut pas cacher. Par suite, gageons que cette mise en scène de l’obscène nous engage vers des solutions politiques qui, de fait, institueront l’hospitalité comme valeur cardinale de notre République. Alors, et seulement à ce moment là, l’¦uvre de la honte devra-t-elle disparaître, et la garantie de « moyens convenables d’existence » aura rendu la raison à ce pays dit civilisé qui, aujourd’hui même, contraint des femmes et des hommes à mourir de froid à ses pieds. Le spectacle de ces tentes rouges devient insoutenable et trahit combien ce sont précisément les grandes prétentions civilisatrices de la France qui apparaissent pour l’heure comme de « la poudre aux yeux ».

NB : Les Enfants de Don Quichotte ont un site (http://www.lesenfantsdedonquichotte.org ), et un besoin urgent en couvertures, couettes, vêtements chauds. Ils ont donc besoin que vous fassiez passer le mot. En outre, Augustin Legrand, leur animateur, intervient aujourd’hui mardi 26 décembre sur France 5 à 17h50 dans C dans l’air.
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