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28.10.05




On croyait avoir gagné la bataille. Plus modestement, une

bataille. Cette bataille-là. Celle de la fourrure. Ça remonte à loin. Des

années. Personne n’osait plus en porter. Oh, pas par amour des bêtes au

poil somptueux, même pas par pitié. Par trouille.

Il y avait eu l’époque des commandos. Qui traquaient la salope en

renard ou en vison. Les filles qui s’enfermaient dans l’ascenseur avec la

poufiasse fière de son chinchilla (j’écris « chinchilla », je ne sais même

pas si c’est une fourrure chère, enfin, mettons) et lui déversaient un

demi-litre d’encre de Chine, ou de Javel, ou carrément d’acide sur

l’ondulante toison, et puis s’esbignaient à l’étage, laissant

hurler la rombière. Il y avait eu les manifs, les boutiques de fourreurs

saccagées. Il y avait eu nous, Charlie Hebdo, Paule l’enragée en tête… Bref,

la fourrure avait reculé. Disparu, pour ainsi dire. On était bien contents.

Ça ne pouvait pas durer. Les générations de connes succèdent aux

générations de connes. Et tout est à recommencer. Les couturiers et tous

ceux qui peuvent se faire du fric autour du martyre des bêtes ont fait ce

qu’il fallait. La fourrure est tendance, la fourrure revient en force, c’est

l’invasion massive, irrésistible.

Ce ne sont plus seulement les toisons prestigieuses, les

traditionnels visons, les zibelines rarissimes, cadeaux de gros cons friqués

à petites connes ambitieuses, qui font le gros du trafic, mais,

figurez-vous, les peaux des chats et des chiens. Très mode, très très.

En zappant comme je zappe, je tombe l’autre jour –ne me demandez

pas quelle chaîne, j’ai coupé le jus avant la fin et je me suis sauvé- sur

l’horreur des horreurs. Un film pris en douce par un amateur, je suppose. Un

élevage de chats. Plutôt, un endroit où l’on entreposait des chats volés.

Des centaines. Ah, oui : en Chine. Des ouvriers chinois massacraient les

chats. Rationnellement. Les attrapaient par les pattes de derrière, les

élevaient haut en l’air et puis les abattaient, hargne donc, de

toutes leurs forces sur une espèce de billot. De vrais pros. Le chat

hurlait, se débattait, la sale bête, il fallait cogner encore, et encore, il

n’en finissait pas de crever. D’ailleurs, on ne le contrariait pas. Tu ne

veux pas clamser ? M’en fous, pourvu que tu te tiennes peinard. Et en effet,

le chat, assommé mais vivant, gigotant vaguement, était sur-le-champ ouvert

du haut en bas par le spécialiste, un autre, pas le même, débarrassé de sa

peau en trois coups de couteau, la peau mise à sécher et le chat jeté tout

palpitant dans une espèce de poubelle à roulettes où miaulait une masse

sanguinolente et bien tassée de chats sans peau.

Finalement, ce n’était peut-être pas une prise de vues

clandestines. Car on nous montrait complaisamment toutes les étapes du

traitement des peaux jusqu’à leur finale expédition pour l’Europe. Le

massacre n’était qu’une des étapes de l’opération, présentée avec la même

indifférence, le même intérêt technique que les autres. Les Chinois ont

beaucoup à apprendre quant à la sensiblerie occidentale. Ce film, qui se

veut peut-être de propagande, leur fait du tort. Tant pis pour leurs

gueules.

Je voudrais qu’il soit projeté dans tous les coins pourris où des

bonnes femmes s’affublent de ces peaux volées. Qu’elles touchent du doigt ce

que c’est que la prestigieuse industrie de la fourrure, ce qui se passe

avant que le grand couturier la drape sur les corps de ses déesses.

Oui, je me bourre le mou. Elles le savent, tout ça, ou s’en doutent.

Elles ne veulent pas le savoir. On leur racontera que ce que j’ai vu là est

exceptionnel, des bandits, des clandestins, qu’en vrai tout se passe en

douceur, le chat s’endort tranquille, on a fait ce qu’il faut, il est

heureux de donner sa peau pour que Paris soit toujours Paris… Et elles

marcheront, elles ont tellement envie… Toutes le copines ont de la fourrure

de chat –on ne dira pas ça comme ça, les gars du marketing auront trouvé un

mot chic, un mot mode- je ne vais pas être la seule à m’en passer ! J’aurais

bonne mine tiens !

Ah, oui : les chiens. Pareil. En Chine, toujours. Cinq ou six gros

lascars en train d’éclater les crânes sur des billots, sur le pavé, à tour

de bras, cadences infernales, doivent pas être payés gras. Qu’ils crèvent !

Attendez-vous donc à voir rappliquer, je ne sais trop sous quelle

forme, une marée d’accessoires vestimentaires à base de fourrure de chats et

de chiens dans l’hiver qui vient. Savez-vous quoi ? Ils les font passer pour

du synthétique i Ce qui tendrait à suggérer qu’en Chine la peau des chiens

et des chats, malgré les manipulations, revient beaucoup moins cher que le

Nylon ou les acryliques !

Jusqu’ici, les massacreurs de chats, chez nous, étaient des voyous

ruraux qui fournissaient certaines officines fabriquant des sous-vêtements

en peau de matou pour tenir au chaud les rhumatismes des vieux cons à

rhumatismes. Activité d’ailleurs réprimée par la loi. Les Chinois, qui sont

un grand peuple travailleur et industrieux, ont élevé la chose aux

dimensions d’une entreprise nationale.

Je retire de tout ça l’impression débilitante que cet incessant

combat contre la souffrance animale, que ces efforts sans cesse et sans

cesse recommencés en faveur du respect de la vie, de toute vie, qui

sont déjà si décevants quand on s’adresse à des peuples dits « évolués », se

heurtent, hors de ce cercle restreint, à un formidable mur d’indifférence,

pour ne pas dire de sadisme. L’Asie est terrifiante. Ne parlons pas de

l’Afrique…

Oui, bon. Il y a du boulot. Les filles, à vos bouteilles d’encre! Les

gars, refusez votre coït à toute merdeuse portant fourrure !




François CAVANNA – Charlie Hebdo du mercredi 26 octobre 2005

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