On croyait avoir gagné la bataille. Plus modestement, une
bataille. Cette bataille-là. Celle de la fourrure. Ça remonte à loin. Des
années. Personne n’osait plus en porter. Oh, pas par amour des bêtes au
poil somptueux, même pas par pitié. Par trouille.
Il y avait eu l’époque des commandos. Qui traquaient la salope en
renard ou en vison. Les filles qui s’enfermaient dans l’ascenseur avec la
poufiasse fière de son chinchilla (j’écris « chinchilla », je ne sais même
pas si c’est une fourrure chère, enfin, mettons) et lui déversaient un
demi-litre d’encre de Chine, ou de Javel, ou carrément d’acide sur
l’ondulante toison, et puis s’esbignaient à l’étage, laissant
hurler la rombière. Il y avait eu les manifs, les boutiques de fourreurs
saccagées. Il y avait eu nous, Charlie Hebdo, Paule l’enragée en tête… Bref,
la fourrure avait reculé. Disparu, pour ainsi dire. On était bien contents.
Ça ne pouvait pas durer. Les générations de connes succèdent aux
générations de connes. Et tout est à recommencer. Les couturiers et tous
ceux qui peuvent se faire du fric autour du martyre des bêtes ont fait ce
qu’il fallait. La fourrure est tendance, la fourrure revient en force, c’est
l’invasion massive, irrésistible.
Ce ne sont plus seulement les toisons prestigieuses, les
traditionnels visons, les zibelines rarissimes, cadeaux de gros cons friqués
à petites connes ambitieuses, qui font le gros du trafic, mais,
figurez-vous, les peaux des chats et des chiens. Très mode, très très.
En zappant comme je zappe, je tombe l’autre jour –ne me demandez
pas quelle chaîne, j’ai coupé le jus avant la fin et je me suis sauvé- sur
l’horreur des horreurs. Un film pris en douce par un amateur, je suppose. Un
élevage de chats. Plutôt, un endroit où l’on entreposait des chats volés.
Des centaines. Ah, oui : en Chine. Des ouvriers chinois massacraient les
chats. Rationnellement. Les attrapaient par les pattes de derrière, les
élevaient haut en l’air et puis les abattaient, hargne donc, de
toutes leurs forces sur une espèce de billot. De vrais pros. Le chat
hurlait, se débattait, la sale bête, il fallait cogner encore, et encore, il
n’en finissait pas de crever. D’ailleurs, on ne le contrariait pas. Tu ne
veux pas clamser ? M’en fous, pourvu que tu te tiennes peinard. Et en effet,
le chat, assommé mais vivant, gigotant vaguement, était sur-le-champ ouvert
du haut en bas par le spécialiste, un autre, pas le même, débarrassé de sa
peau en trois coups de couteau, la peau mise à sécher et le chat jeté tout
palpitant dans une espèce de poubelle à roulettes où miaulait une masse
sanguinolente et bien tassée de chats sans peau.
Finalement, ce n’était peut-être pas une prise de vues
clandestines. Car on nous montrait complaisamment toutes les étapes du
traitement des peaux jusqu’à leur finale expédition pour l’Europe. Le
massacre n’était qu’une des étapes de l’opération, présentée avec la même
indifférence, le même intérêt technique que les autres. Les Chinois ont
beaucoup à apprendre quant à la sensiblerie occidentale. Ce film, qui se
veut peut-être de propagande, leur fait du tort. Tant pis pour leurs
gueules.
Je voudrais qu’il soit projeté dans tous les coins pourris où des
bonnes femmes s’affublent de ces peaux volées. Qu’elles touchent du doigt ce
que c’est que la prestigieuse industrie de la fourrure, ce qui se passe
avant que le grand couturier la drape sur les corps de ses déesses.
Oui, je me bourre le mou. Elles le savent, tout ça, ou s’en doutent.
Elles ne veulent pas le savoir. On leur racontera que ce que j’ai vu là est
exceptionnel, des bandits, des clandestins, qu’en vrai tout se passe en
douceur, le chat s’endort tranquille, on a fait ce qu’il faut, il est
heureux de donner sa peau pour que Paris soit toujours Paris… Et elles
marcheront, elles ont tellement envie… Toutes le copines ont de la fourrure
de chat –on ne dira pas ça comme ça, les gars du marketing auront trouvé un
mot chic, un mot mode- je ne vais pas être la seule à m’en passer ! J’aurais
bonne mine tiens !
Ah, oui : les chiens. Pareil. En Chine, toujours. Cinq ou six gros
lascars en train d’éclater les crânes sur des billots, sur le pavé, à tour
de bras, cadences infernales, doivent pas être payés gras. Qu’ils crèvent !
Attendez-vous donc à voir rappliquer, je ne sais trop sous quelle
forme, une marée d’accessoires vestimentaires à base de fourrure de chats et
de chiens dans l’hiver qui vient. Savez-vous quoi ? Ils les font passer pour
du synthétique i Ce qui tendrait à suggérer qu’en Chine la peau des chiens
et des chats, malgré les manipulations, revient beaucoup moins cher que le
Nylon ou les acryliques !
Jusqu’ici, les massacreurs de chats, chez nous, étaient des voyous
ruraux qui fournissaient certaines officines fabriquant des sous-vêtements
en peau de matou pour tenir au chaud les rhumatismes des vieux cons à
rhumatismes. Activité d’ailleurs réprimée par la loi. Les Chinois, qui sont
un grand peuple travailleur et industrieux, ont élevé la chose aux
dimensions d’une entreprise nationale.
Je retire de tout ça l’impression débilitante que cet incessant
combat contre la souffrance animale, que ces efforts sans cesse et sans
cesse recommencés en faveur du respect de la vie, de toute vie, qui
sont déjà si décevants quand on s’adresse à des peuples dits « évolués », se
heurtent, hors de ce cercle restreint, à un formidable mur d’indifférence,
pour ne pas dire de sadisme. L’Asie est terrifiante. Ne parlons pas de
l’Afrique…
Oui, bon. Il y a du boulot. Les filles, à vos bouteilles d’encre! Les
gars, refusez votre coït à toute merdeuse portant fourrure !
François CAVANNA – Charlie Hebdo du mercredi 26 octobre 2005