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1.10.04

On achève bien d'imprimer

jeudi 30 septembre 2004 (Liberation - 06:00)

La semaine dernière, à la radio, une émission scientifique donnait à entendre le son du lapin qui rêve. Car parfois le lapin rêve. Peut-être visite-t-il le pays des carottes géantes, sans doute y rencontre-t-il quelque lapine sexy. Tout en rêvant, le lapin fait «hon hon hmm hmm», exactement comme la personne qui partage votre lit, mais en beaucoup moins fort. Il a fallu placer un micro ultrasensible près de l'animal pour enregistrer la bande originale de ses songes. Les livres de l'automne sont d'autres lapins qui rêvent. S'en échappent le bruit de portes qui claquent, les pleurs des amants abandonnés et la musique équanime des CD. Le son littéraire est un art qui se perd (de vieux barbons persistent à écouter le vent dans la forêt chez Bernanos et l'appel des marchands ambulants chez Proust). Aujourd'hui, les livres nous crient aux oreilles, ils soignent plus l'image que le son. Si bien qu'on préfère écouter parler leurs auteurs. Les occasions ne manquent pas : les écrivains causent à la télé, à la radio, dans les librairies et, parfois, dans des lieux plus improbables. Ainsi, lundi soir, Virginie Despentes était censée s'exprimer à l'Ile enchantée, un rade du boulevard de la Villette connu pour ses «before», qui passent pour les plus «tendance» du moment. 70 personnes au bar, à peu près le double dans la salle, tout le monde beuglant.C'est une assemblée de 25-35 ans, dans une mouvance culturelle Technikart. Au milieu, Despentes tente de répondre aux questions d'intervieweurs qui se relaient au micro comme à la télé. «Alors Virginie, Simone de Beauvoir ou Angela Davis ?» «Euh...», répond-elle. Approbation de la salle : c'était visiblement la bonne réponse. «Virginia Woolf ou Carson McCullers ?» «McCullers !», crie Despentes. «Besancenot ?» «J'en ai absolument rien à foutre.» Le reste se perd dans le brouhaha et les éructations. Il ne s'agit pas tant d'échanger des idées que de se frotter les uns aux autres, et d'écouter le bruit que ça fait. Et si, soudain, s'élevait dans la salle le son cristallin d'une génération qui se trouve après s'être longtemps cherchée ? Mais là, c'est plutôt verre brisé et désillusion collective. Sur le mur du troquet, on projette un film muet, scènes d'automutilations simulées. Au micro, une fille fait la bande-son. «Ouille», «aïe», «putain, ça fait mal», hurle-t-elle. A Despentes, on ne pose plus vraiment de questions ; ce ne sont désormais qu'appels de phare et signaux de détresse. Un type apparemment dépassé par la complexité de sa pensée termine son intervention en poussant un long râle dans le micro. On est étonné que personne ne songe à se jeter à travers la vitrine du troquet : avec un peu de sang, le happening aurait été parfait. Sans l'avoir prémédité, l'Ile enchantée a donc offert à Virginie Despentes la bande-son de son dernier ouvrage (Bye bye Blondie). Tout le monde a passé une excellente soirée. Et puis chacun est retourné se blottir contre son lapin qui rêve.

Edouard LAUNET
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