Va sur BLOGGER. Voilà les codes | utilisateur = blackblog03@gmail.com | le mot de passe = black021268 | et blog le Meilleur du Pire et Vice-Versace. NB les codes ont été hacké.
22.2.04
Ha ! TH Room Service
du Gouvernement ?
A Quand le prochain
REMANIEMENT !
Fais nous de beaux Dessins
et t'auras ta frimousse dans les Inrocks
- 9.49
Appel à la guerre contre l'intelligentsia
Rien de plus proche aujourd'hui d’un magazine culturel branché qu'un abrutissant prime-time télévisé, rien de plus proche qu’un service de presse pour candidat en campagne qu’une campagne de publicité pour une émission d’actions en bourse, rien de plus proche d'un conseiller en communication encravaté qu’un agitateur professionnel macdophobe, rien de plus proche d’un administrateur siégeant au conseil de surveillance de sa société cotée en bourse qu'un directeur de rédaction de quotidien national, d'un politologue de plateau-télé qu'un écrivaillon d’ascenseur en renvoi perpétuel, d'un pétitionnaire maniaque qu'un lycéen manifestant sous sa banderole, rien de plus proche d'un universitaire servant de courroie de transmission pour une doxa archaïque et partisane, qu'un médiateur culturel servant d’alibi aux politiques locaux ou qu'un grotesque comique moralisateur générant les points d’audience, rien de plus proche d'un professeur de sciences politiques qu'un médiacrate du samedi soir, rien de plus proche qu'un « artiste engagé » subventionné d’un militant UMP lobotomisé par sa profession de foi, rien de plus proche d’un démagogue porte-parole de sa petite chapelle communautaire qu’un populiste représentant du pouvoir qu’on dit « en place », rien de plus proche d’un groupe de presse qu’une maison de disques, rien de plus proche qu’un patron de groupe d’un commissaire européen, rien de plus proche d’une marque commerciale qu’un slogan politique, rien finalement de plus proche d’un pouvoir qu’un soit-disant « contre-pouvoir ».
Tous les glossateurs du discours, de la bonne conscience, de la subjectivité, du lien social, du débat public, négateurs de toute altérité sous couvert d’universalisme bienveillant, régulateurs des consciences et niveleurs d’idées, arbitres des opinions élégantes, collectionneurs de références et bateleurs folkloriques, voudraient aujourd’hui se mettre en ordre de bataille pour sauver ce qu’ils appellent « l’intellectualisme », qu’on dit menacé par un gouvernement dont on semble par ailleurs découvrir la nature profondément anti-intellectuelle. La binarisation est donc à l’œuvre des deux côtés d’une ligne de démarcation qui masque décidément bien mal les collusions de pensée ou d’intérêts corporatistes. Tous participent bien à l’élaboration d’un chant commun monocorde, mais certains prétendent en plus avoir assez de conscience pour réclamer de la dissonance.
C'est à la perpétuation d'une politique extrêmement cohérente que nous assistons. Une politique d’assèchement et d’instrumentalisation de tous les espaces considérés comme des marges restant encore à exploiter, inutiles ou dissidentes, une politique de binarisation manichéenne de toute déclaration, une instrumentalisation de ces marges et leur intégration dans un plan média aussi abrutissant que les mesures liberticides ou autoritaires que l’Etat prend tous les quatre matins. A la menace d’éradication qui pèse sur la diversité intellectuelle, étouffée par les politiques d’asphyxie institutionnelle ou de criminalisation des comportements, on voudrait donc répondre par un appel à la guerre tout aussi totalisant et sclérosant : pour ou contre le voile ? Un policier dans chaque école ou des professeurs nécessairement « progressistes » ? Etat policier ou « anarchie sympa » ? France d'en bas contre élites perverties ? Les artistes : forcément tous des visionnaires indemnisables ? Une politique à laquelle les médias, ce soit-disant contre-pouvoir, participent avec zèle en multipliant les comparatifs iniques, les bancs d’essais stupides, les études conjoncturelles foireuses, les débats raccourcis, amputés de leur épaisseur et de leurs contradictions fécondes, les déclarations de guerre médiatiquement correctes (et les appels aux contributions gratuites, au détriment du premier corps de métier intellectuel dont devrait se soucier les Inrocks : leurs pigistes). Des deux côtés on a donc décidé de tuer la nuance.
« Le gouvernement Raffarin fait effectivement un usage simpliste et terrifiant des fameuses leçons du 21 avril : en pleine crise de l'Etat-Providence, dans ces secteurs les plus sensibles que sont l'hôpital et la santé, l'école et l'université, la justice et le travail social, la culture et l'audiovisuel public, au moment d'une fracture urbaine sans précédent entre des centre-ville riches et paisibles et des périphéries abandonnées, à l'heure d'une décentralisation culturelle accélérée et sans filet et d'une industrie de la culture qui modifie en profondeur le paysage intellectuel, que fait le gouvernement ? Il livre l'architecture, l'urbanisme et la construction d'un nouvel espace public aux grands groupes de BTP. Il dégraisse les corps intermédiaires de la communauté éducative en supprimant emplois-jeunes, aide-éducateurs, infirmières, surveillants. Il fragilise le monde du spectacle au nom d'une réforme nécessaire du régime de l'intermittence. Il démoralise les professions de santé et accélère la " fuite des cerveaux " dans les universités étrangères. Il profite du départ à la retraite des générations du baby-boom pour faire disparaître des secteurs de recherche, des spécialités médicales, des disciplines éducatives. Il procède à des coupes sombres dans les budgets du savoir et de la recherche. Et il résout la prise en charge des " vieux " par la culpabilisation des familles, le rappel à l'ordre paternaliste des plus jeunes et la suppression d'un jour férié. »
Amusant bréviaire des calamiteuses initiatives d’un gouvernement dont il convient peut-être de rappeler qu’il est « conservateur ». Amusant amalgame également entre des décisions qui ont pour fondement des objectifs évidemment économiques, et une « guerre à la complexité » qui caractérise, par nature, tout Etat. Les déclarations de guerre sélectives n’ont rien d’utile. Cette guerre à l'intelligence est au moins autant le fait des initiatives simplistes de l’actuel gouvernement que des discours pluri-décennaux sur le Bien, l’Universel et le Cool, et le refus progressif qu’on a régulièrement opposé à toute dissonance. Certainement pas un fait sans précédent dans l'histoire de la nation. C’est probablement être mal informé, ou peut-être déjà partisan, que de croire qu’une « exception française » protégeait un certain pluralisme des idées de l’uniformisation marchande ; le seul constat pertinent serait à la rigueur d’observer une radicalisation de l’opposition entre raison économique technicienne et les besoins humains, sociaux ou culturels.
L’escroquerie réside encore dans la thèse qui veut assimiler « l’intelligence » au « lien social » ou au Spectacle, qui entend « fédérer les inquiétudes », « échanger les expériences », et « unifier les protestations », bref nuire encore à la spécificité et à la complexité des situations qu’on prétend défendre en les amalgamant dans un Grand Tout Contestataire. L’escroquerie et le ridicule consistent à traduire un cri de rage de l’intelligence en mémorandum collectif tapé en trois exemplaires et qu’on se refile par mail entre deux spams.
Les initiatives d’un gouvernement dont de toutes façons ABSOLUMENT RIEN n’était à attendre, sont fustigées par un organe de presse qui semble oublier que si une « guerre à l’intelligence » est menée, elle dépasse d’assez loin les mesures gouvernementales. Cette guerre englobe également la politique de concentration économique des industries culturelles et d’uniformisation des canaux de diffusion, la constitution de gigantesques catalogues d’informations appropriées par quelques groupes oligopolistiques, dont les politiciens ne sont que les zélés factotums, la crispation judiciaire de ces mêmes industries contre toute réappropriation par l’individu – le consommateur - des créations de ses pairs dès lors qu’elle n’emprunte pas les circuits commerciaux établis et court-circuite leur vampirisme technique, la transformation de toute œuvre artistique, de toute recherche scientifique, de toute réflexion philosophique en produit commercial valorisable sur le marché de l’information, la volonté de réïfication de l’intellect et sa déréliction comptable, à laquelle doit donc maintenant répondre l’inscription de toute création dans des schémas « citoyens » ou « politiques » prédéterminés par les extensions « conscientes » ou « branchées » du système, l’abrutissement généralisé auquel se livrent tous les grands médias, sous couvert d’offre démocratique et de divertissement populaire, l’exigence d’une conscientisation à sens unique, le ressassement perpétuel des mêmes clivages imbéciles au fil des pages de tout ce que le pays compte de presse dite « d’opinion », le « bougisme » narcissique qu’on croit nécessaire d’inoculer à son prochain et la culpabilisation qu’on entend lui imposer s’il ne se plie pas au format de contestation choisi, l’impérieuse convocation à répondre à toute lettre de mobilisation émanant d’une bonne conscience autoproclamée, la coriace, prétentieuse et nauséabonde « exception française » dont personne ne se donne la peine de donner une définition sans pour autant renoncer à l’invoquer à tout propos, et finalement l’avilissement de la « création intellectuelle » qu’on ramène à un ensemble d’activités professionnelles qu’un gouvernement contrarie. L’intelligence a cette particularité d’à la fois transcender les modes d’expression convenus, et de se glisser malgré tout, contre tout, dans les interstices que lui laissent les scandaleuses initiatives atrophiantes de l’Etat. Qu’un organe de presse ouvre largement ses pages aux créations les plus subversives, qu’il se lance dans la sédition au nom d’une guerre contre la sclérose, qu’il dénonce ses propres bailleurs de fond ou renie ses propres sentences culturelles, qu’il commence par se rebeller contre les canaux de pensée conventionnels, qu’il constitue donc à la fois la bulle d’air et l’interstice, mais par pitié qu’il évite d’avilir un enjeu pareil en positionnement catégoriel de journalistes et d’intellectuels parisiens agacés. L’heure n’est plus à la définition du rapport de force, et depuis un bon moment. L’heure n’est plus à la lettre de mobilisation, mais au sabotage effectif. L’heure n’est plus à l’indignation en réunion, mais à la reconstitution de véritables réseaux de contre-pouvoir, dont la presse ne peut déjà plus prétendre faire partie.
Si "guerre" il y a, ça n’est peut-être pas en témoignant poliment de son courroux à l’ennemi qu’on influe sur sa stratégie, ça n’est peut-être pas en lui adressant un courrier recommandé qu’on lui porte des coups, ça n’est peut-être pas en singeant la subversion qu’on sape ses bases.